
Ce lundi part la seconde partie de la mission, coordonnée par l’Agence spatiale européenne (ESA), pour étudier les conséquences de la collision.
La mission Hera de l’Agence spatiale européenne prend son départ depuis Cap Canaveral le 7 octobre, embarquée par une fusée Falcon 9 de la compagnie SpaceX, pour rejoindre l’astéroïde double Didymos à l’automne 2026, situé à plusieurs centaines de millions de kilomètres de la Terre.
Car, en 2022, la NASA a écrasé intentionnellement sa sonde DART sur la plus petite moitié de cet astéroïde double, la « lune » Dimorphos. L’idée de ce tout premier test de déviation d’astéroïde est de modifier la trajectoire de la cible et d’observer le résultat. Ainsi, grâce à une caméra à bord de DART, à un minisatellite (ou CubeSat) italien déployé avant l’impact, et à la puissance conjointe des télescopes terrestres, puis de Hubble et JWST, nous savons déjà plusieurs choses du succès de cette déviation.
Mais il nous manque beaucoup d’informations pour vraiment comprendre ce qui est arrivé suite à l’impact – des informations indispensables pour généraliser les résultats et développer les modèles qui nous permettraient de dévier d’autres astéroïdes qui arriveraient vers la Terre ou les installations spatiales (satellites, stations spatiales…).
Et ça, c’est la mission d’Hera : comprendre à quoi ressemblent Didymos et Dimorphos après l’impact.
Ce que l’on sait déjà du test de déviation d’astéroïde
Ce premier test de déviation d’astéroïde fut un succès total. Tout d’abord parce que la sonde DART a bien réussi à se guider de façon autonome dans les dernières heures avant l’impact pour rentrer en collision avec un petit astéroïde dont on ne connaissait initialement que la taille, mais aussi parce que la collision a bien dévié la lune Dimorphos.
Cette déviation a été l’objet d’une campagne d’observations par des télescopes terrestres sur la plupart des continents, qui permit de mesurer la réduction de la période orbitale de Dimorphos autour de Didymos (11h22 après impact contre 11h55 avant), montrant une capacité à s’organiser à l’échelle internationale pour mesurer les conséquences d’une déviation.
De plus, les images prises par DART avant l’impact ont permis d’avoir quelques connaissances sur les propriétés de surface de la cible Dimorphos et de son corps principal.
Enfin, les images prises par le minisatellite italien LICIAcube, largué par DART avant l’impact pour l’observer de loin, et les images des télescopes spatiaux James Webb et Hubble, qui pointaient pour la première fois sur un même objet, montrèrent qu’une queue de poussières émises par l’impact puis poussées par la lumière du Soleil qui exerce une pression sur leur surface (appelée « pression de radiation solaire ») était en train de s’étaler sur des dizaines de milliers de kilomètres, dont certaines pourraient finir dans l’atmosphère terrestre sous forme d’étoiles filantes (sans risque de dommage car elles se consumeraient totalement dans l’atmosphère).
Hera et ses CubeSats, trois détectives scientifiques ultrasophistiqués au chevet de Didymos
Mais pour mesurer l’efficacité de la technique et valider les modélisations d’impact – qui doivent être capable de reproduire ce test à l’échelle réelle afin de l’extrapoler à d’autres scénarios, ces informations ne suffisent pas.
Des réponses à des questions cruciales restent en suspens. Par exemple, mesurer l’efficacité de la déviation nécessite de connaître la masse de Dimorphos et comprendre la réponse à l’impact nécessite de mieux connaître les propriétés physiques de Dimorphos, et en particulier ses propriétés internes. Notamment, y a-t-il de grandes zones de vides à l’intérieur de Dimorphos et quelles sont les tailles des blocs rocheux qui le constituent, ou est-ce un rocher compact couvert de roches de surfaces ? L’impact de DART a-t-il produit un cratère ou bien a-t-il déformé entièrement la petite lune, comme certaines modélisations le prédisent et certaines observations au sol récentes semblent l’indiquer ?

Ainsi, tel un détective, Hera part pour mener l’enquête et rendre compte de ce qui s’est exactement passé et pourquoi.
Pour la première fois, une sonde va s’insérer à proximité d’un astéroïde double.
Pour la première fois aussi, une mission spatiale effectuera l’exploration d’un petit corps à l’aide de trois satellites en même temps. Hera est en effet équipée d’une sonde qui embarque elle-même deux CubeSats, chacun de la taille d’une boîte à chaussures, et équipés de leur mode propre de propulsion et d’instruments de mesures variés, qu’elle déploiera au voisinage de l’astéroïde pour effectuer des mesures à plus grande proximité.
Cette configuration démontrera l’intérêt d’embarquer des plus petits modules, permettant de prendre plus de risques en les déployant pour des opérations à très grande proximité, tandis que la sonde principale reste à distance et assure que les objectifs scientifiques essentiels sont bien remplis (la sonde Hera en elle-même embarque deux caméras d’observation dans le domaine visible, un imageur hyperspectral offrant des données de composition minéralogique, un imageur dans l’infrarouge thermique fourni par l’Agence spatiale japonaise (la JAXA) pour déterminer les propriétés thermiques et la rugosité de la surface, et un altimètre laser).
En attendant la surprise des premières images de Dimorphos transformé par ce premier test de déviation, nous aurons l’opportunité de nous émerveiller avec le survol de Mars par la sonde à la mi-mars 2025, qui permettra de calibrer les instruments en vol en observant non seulement la planète, mais aussi l’une de ses deux lunes, Deimos… ce qui offrira peut-être en passant de nouvelles données scientifiques.

Étudier en détail les conséquences de l’impact pour les extrapoler à de futures collisions
C’est aussi la première fois qu’une mission retourne sur un petit corps dont nous avons déjà des images, mais dont nous savons déjà que celles-ci n’ont plus rien avoir avec ce qu’il est devenu. Sur la base des données actuelles – très partielles, les prédictions sont soumises à de grandes incertitudes et plusieurs résultats sont possibles.
En fait, les données de DART nous offrent les conditions initiales de l’impact, mais il nous manque le résultat final et les propriétés de sa cible qui interviennent dans sa réponse à l’impact. Les modélisations, en partant des conditions initiales fournies par DART et des propriétés internes réelles de la cible qui restent à mesurer, doivent reproduire le résultat final.
L’idée est de réduire au maximum les paramètres libres pour s’assurer que les modélisations réussissent à reproduire l’impact non pas parce qu’on a ajusté des paramètres inconnus pour arriver au résultat souhaité mais parce qu’elles sont bien valides et capturent de façon fiable le phénomène à une échelle inaccessible dans les laboratoires terrestres. Ces modélisations validées nous permettront de mieux calibrer l’énergie d’impact nécessaire pour dévier un astéroïde de propriétés connues.
Pour plus d’information sur l’historique des deux projets DART et Hera et la défense planétaire en général, voir le livre de Patrick Michel aux éditions Odile Jacob « À la rencontre des astéroïdes : missions spatiales et défense de la planète ».
Patrick Michel, Astrophysicien, Directeur de Recherche au CNRS, Responsable Scientifique de la mission spatiale Hera (ESA), Laboratoire Lagrange (Université Côte d’Azur, CNRS, Observatoire de la Côte d'Azur)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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