SCIENCE AZUR : Tribune libre : « Et si les panneaux de bois devenaient enfin durables et recyclables ?
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du 2 décembre 2025 au 9 décembre 2025
Dans cette de tribune libre du dimanche de Nice-Matin, Nathanaël Guigo, enseignant-chercheur Université Côte d'Azur à l'Institut de Chimie de Nice (UniCA, CNRS) et bientôt chercheur au Centre de Mise En Forme de Matériaux de Mines Paris PSL, associé au CNRS fait le point sur ce projet qui consiste à réinventer la colle, pour qu’elle soit à la fois biosourcée, non toxique et recyclable ce qui permettrait de recycler les panneaux de bois.
Nos meubles, nos planchers, nos cloisons respirent le bois. Ce matériau que l’on associe volontiers à la nature et à la durabilité, incarne la promesse d’une construction plus écologique. Mais une question dérange : que vaut un matériau « naturel » si sa colle ne l’est pas ?
La plupart des panneaux à base de bois utilisent encore des colles pétrosourcées, contenant des composés toxiques pour la santé et l’environnement comme les formaldéhydes. Ces colles rendent le recyclage des panneaux presque impossible : une fois collées, les fibres de bois ne peuvent plus être séparées sans être détruites. Résultat : chaque année, des millions de tonnes de panneaux de bois finissent incinérés ou enfouis. Autant dire que nos intérieurs « nature » le sont bien moins qu’on le croit.
Peut-on encore parler d’économie circulaire dans ces conditions ? C’est à cette contradiction que s’attaque le projet européen SUSPENSE (Sustainable, Safe and High-Performance Bio-Based Adhesives for Wood-Based Composites), lancé en octobre 2025, soutenu par le programme Circular and Biobased Europe Joint Undertaking (CBE JU), et coordonné par l’entreprise CHIMAR en Grèce. Son ambition : réinventer la colle, pour qu’elle soit à la fois biosourcée, non toxique et recyclable. Autrement dit, permettre enfin aux panneaux de bois de boucler la boucle.
Mais de quoi parle-t-on concrètement ? Les chercheurs du projet développent des colles issues de ressources renouvelables : des bio-acides et des polyphenols combinés à d’autres composés biosourcés provenant de sucres et lignines du bois, huiles et protéines végétales. Ces matières premières, valorisées à partir de résidus agricoles ou forestiers, n’entrent pas en concurrence avec l’alimentation humaine. On obtient ainsi des colles vertes, faites à partir de ce que la nature a déjà donné !
Grâce à elles, l’empreinte carbone est réduite jusqu’à 30 % par rapport aux adhésifs fossiles. Ces colles innovantes doivent aussi être recyclables. Au CEMEF, centre de recherche de Mines Paris installé à Sophia Antipolis, les chercheurs étudient comment ces colles se comportent, et surtout comment elles peuvent être recyclées : une expertise sophipolitaine au service de produits à base de bois vraiment circulaires. Ils développent des procédés permettant de contrôler finement la structure du réseau polymère pour optimiser à la fois performance et recyclabilité. Le CEMEF étudie notamment les conditions d’hydrolyse contrôlée, un procédé qui permet de dissocier les colles en fin de vie et de récupérer les fibres de bois sans les dégrader. Car que vaut un panneau recyclable, si sa colle ne l’est pas ?
Et si l’innovation la plus durable n’était pas celle qui crée du neuf, mais celle qui permet de recommencer ? En redonnant de la valeur à ce qui existe déjà, ces nouvelles colles changent la logique du « produire-jeter ». Elles ouvrent la voie à des panneaux de bois que l’on pourrait démonter, recycler, reformer sans perte de performance. Car le défi n’est pas seulement écologique : il est aussi industriel. Pour être adoptées, ces solutions doivent être aussi efficaces et compétitives que leurs équivalents pétrosourcés. C’est le pari de SUSPENSE, qui vise des applications concrètes dans les secteurs du mobilier, de la construction et de l’isolation.
Derrière cette révolution discrète se joue une question plus vaste : comment concevoir des matériaux vraiment durables ? L’Union européenne promeut aujourd’hui l’approche « Safe and Sustainable by Design » – sûre et durable dès la conception. C’est un changement de paradigme : penser la durabilité non plus en aval, au moment du recyclage, mais en amont, dans la chimie même des produits que nous utilisons chaque jour.
Sommes-nous prêts à repenser la matière à ce niveau ?
Le bois, symbole de naturalité, ne sera écologique que si sa colle l’est aussi. En s’attaquant à cet élément invisible mais décisif, le projet SUSPENSE – et avec lui, le CEMEF – nous rappelle que la transition écologique se joue parfois dans les détails : ceux qu’on ne voit pas, mais qui tiennent tout ensemble – jusqu’à pouvoir les recycler bien sûr !
1. Au Centre de Mise en Forme des Matériaux (CEMEF), Mines Paris – PSL, à Sophia Antipolis et enseignant-chercheur en détachement de Université Côte d’Azur.