Les oubliées de la parfumerie

Au cours d’une séance de shopping, certaines personnes ont dû remarquer la nouvelle gamme de produits l’Occitane en Provence nommée « Fleurs Inoubliables ». Vous l’avez d’ailleurs peut-être déjà essayée, achetée, offerte ? Mais saviez-vous que derrière ce lancement, tout un patrimoine historique refait surface ? Issues d’un véritable projet de recherche, quatre plantes oubliées de la parfumerie ont été remises au goût du jour. « Fleurs Inoubliables », est une aventure collaborative entre l’Institut de Chimie de Nice, l’Occitane en Provence et le Musée International de la Parfumerie de Grasse.  

Xavier Fernandez, enseignant-chercheur à Université Côte d’Azur a dirigé le projet du premier au dernier chapitre. Il explique que les parfums anciens étaient exclusivement fabriqués avec des matières premières naturelles, essentiellement végétales. À travers les âges et les évolutions technologiques, leur utilisation s’est altérée et leurs applications ont changé. Xavier Fernandez raconte qu’avec l’apparition de la chimie de synthèse - et donc la possibilité de fabriquer des molécules à moindre coûts et sans contrainte de saisonnalité - certaines plantes ont été mises de côté. Tout l’enjeu du projet reposait sur la réhabilitation de ces oubliées de la parfumerie.  

Premier problème et pas des moindres : si une plante a été rayée du monde de la parfumerie, alors elle n’apparaît pas dans les inventaires actuels. Pour la retrouver, il faut remonter le temps et fouiller dans le passé. C’est un travail de fouille dans les archives conséquent qui a été réalisé par Anne-Sophie Bouville, doctorante en chimie passionnée de botanique. Des heures durant, elle a posé les fondations du projet en parcourant des les livres anciens. Réel travail de détective à la poursuite des plantes utilisées autrefois en parfumerie qui a abouti à une base de données de 800 plantes, chacune associée à son histoire. 

QUE LES MEILLEURES GAGNENT  
Cependant, toutes ces plantes n’ont pas eu la chance d’être sélectionnées pour être utilisées en parfumerie. L’Occitane en Provence est une marque exigeante et a mis en place des critères de sélection rigoureux. Xavier Fernandez raconte que le projet a alors pris un nouveau tournant et que deux voies différentes se sont dessinées pour les plantes fraîchement identifiées. Celles qui présentaient un intérêt potentiel pour l’Occitane ont été gardées confidentielles et étudiées de manière plus approfondie, tandis que les autres ont été mises en valeur par les chercheurs via des actions de médiation scientifique. Un travail collaboratif « gagnant-gagnant » qui a permis aux scientifiques de déposer des brevets et de valoriser leurs travaux lorsque l’Occitane a bénéficié d’un nouveau répertoire olfactif.  

Seuls le mélilot, l’aubépine, la tanaisie et une plante à découvrir fin 2024 parmi 800 plantes ont été retenues pour composer la nouvelle gamme de produits « Fleurs Inoubliables ». Une compétition rude aux critères de sélection intraitables.

Pour commencer, il était impératif que les élues ne soient pas en voie de disparition ou à l’inverse, envahissantes. Ensuite, la provenance, l’origine et l’histoire des plantes avaient une grande importance : seules les provençales au passé riche étaient retenues. Bien évidemment, étant donnée l’utilisation qui en est faite, celles référencées comme provoquant des réactions allergènes ou cutanées étaient écartées de la compétition. La sélection ne s’arrêtait pas là ! Il fallait que les plantes puissent être récoltées et cultivées, or cela passait par la construction de nouvelles filières agricoles. Les futures inoubliables devaient donc répondre aux critères de faisabilité technique et de rentabilité pour les producteurs. Une plante au faible rendement n’était pas retenue, de même qu’une plante ne présentant pas un avantage pour la biodiversité déjà présente sur les terres des producteurs. 

NOBLE COMME UNE ÉPINE  
L’aubépine est l’une des quatre élues dont la fleur a été retenue. L’odeur qui se dégage de ses pétales est très parfumée, elle évoque celle de l’amande fraîches avec une touche florale et champêtre. Son essence naturelle a été saisie et réinterprétée pour façonner le parfum Noble épine, aux notes poudrées et douces, laissant un effet frais, naturel et amandé. Depuis toujours, sa précieuse fleur est célèbre pour ses vertus contre le stress, les troubles du sommeil et ceux liés à la ménopause. Également connue sous le nom de « plante du coeur », ses propriétés de régulation du système cardiaque font d’elle une plante depuis longtemps utilisée en Occident et en Orient comme remède contre l’hypertension. Par ailleurs, il suffit de creuser un peu son passé pour qu’un halo de légendes et de mythes se forme autour de l’aubépine. Utilisée par les sorcières dans leurs potions pour ses bienfaits, elle se transformerait en grosse haie de ronce à l’approche d’inquisiteurs pour protéger leurs jardins.  

Son profil olfactif, son passé mystérieux et ses pouvoirs médicinaux n’ont pas manqué d’interpeler. Cependant, pour récolter la fleur de cette plante à la personnalité piquante et séduisante, il faut prendre des pincettes. C’est Jean- Pierre Pavier qui se charge de la cueillir à la main, dans les prairies de Lus la Croix Haute. Il pratique une cueillette durable, biologique et tournée vers la réhabilitation de la biodiversité. Ensuite la fleur est séchée et amenée au parfumeur à Grasse où elle est transformée.  

Les trois autres heureuses élues donnent lieu à trois parfums : Mélilot, Barbotine, et la mystérieuse fragrance à venir. De même que l’aubépine, elles répondent aux critères établis par l’Occitane en Provence et se sont démarquées par une propriété qui leur était propre. Mais afin de conserver votre plaisir de les découvrir, à vous de partir à la recherche des « Fleurs Inoubliables »... 



Article réalisé dans le cadre du premier numéro d'INTERVALLE, le magazine du service Science et Société, grâce à la participation de :

  • Xavier Fernandez, professeur des universités à Université Côte d’Azur au laboratoire Institut de Chimie de Nice - ICN - d’Université Côte d'Azur et du CNRS, il est responsable de l’équipe Métabolome et Valorisation de la Biodiversité Végétale. Il est également Vice-Président Innovation et Valorisation de la Recherche à Université Côte d'Azur.