PSYKONOS : une prise de sang pour détecter le trouble bipolaire

Et si une prise de sang permettait de diagnostiquer une maladie mentale ? Alors que leur diagnostic est aujourd’hui difficile, la start-up PSYKONOS, fondée à la suite d’une découverte des Professeurs Nicolas Glaichenhaus et Raoul Belzeaux, a l’intention de commercialiser un test sanguin permettant de diagnostiquer la bipolarité.  

Tristesse profonde, euphorie, démotivation, excitation : votre vie est rythmée par votre humeur. Heureusement, entre ces va-et-vient émotionnels, il y a des périodes plus calmes, où l’alternance de ces émotions laisse place à l’équilibre. Mais un jour, des pensées suicidaires vous gagnent et c’en est trop. Vous décidez alors de prendre rendez-vous chez votre médecin généraliste pour comprendre ce qui cloche. Seulement voilà, ce dernier ne peut pas s’appuyer sur des analyses de sang, un électroencéphalogramme ou une biopsie pour savoir de quoi vous souffrez exactement, et surtout quel médicament vous prescrire. Son seul moyen est donc de vous poser des questions sur vos antécédents médicaux, vos pensées et votre comportement. Et si vous lui dites que vous êtes triste, n’avez plus envie de rien et que vous pensez au suicide, il est très probable que votre médecin généraliste vous dise que vous souffrez de « dépression », et qu’il vous prescrive des antidépresseurs ou des anxiolytiques. Mais est-ce que vous souffrez vraiment de dépression ? Est-ce que vous ne seriez pas plutôt bipolaire ?  
 

LES PARTICULARITÉS DE LA BIPOLARITÉ  
Nicolas Glaichenhaus est Professeur d’Immunologie à Université Côte d’Azur. Il explique que la bipolarité est un trouble de l’humeur caractérisé par des périodes dites dépressives et maniaques. Il s’agit d’une maladie souvent prise pour de la dépression car cette phase est la même dans les deux pathologies, la différence est visible uniquement lors des périodes de manies. « Lors d’une période maniaque, les gens ne rangent pas leurs placards trois fois par jour, ironise le chercheur, c’est en quelques sorte l’inverse de la dépression. Le malade se sent tout puissant et cela amène à des comportements à risques comme rouler à 160 km/h, jouer à des jeux d’argent, avoir des rapports sexuels non protégés, etc. »   

Or, les traitements ne sont pas les mêmes dans la dépression et la bipolarité. Alors que les antidépresseurs sont généralement efficaces en cas de dépression, ils sont contre-indiqués dans la bipolarité (à moins d’être prescrits avec d’autres médicaments).

Ainsi, chez le bipolaire, non seulement les antidépresseurs ne diminuent pas les symptômes dépressifs, mais ils vont souvent exacerber les phases maniaques. Il est donc crucial que le médecin puisse identifier les patients bipolaires lorsqu’ils viennent en consultation. D’ailleurs, comme le souligne Nicolas Glaichenhaus, « Le temps moyen entre les premiers symptômes de la bipolarité et le bon diagnostic est de 8 ans. Plusieurs années pendant lesquelles le patient ne va pas bien, est souvent hospitalisé, ne peut plus travailler et risque de se suicider ou d’avoir un accident car il prend des risques inconsidérés ».  

UN TEST SANGUIN POUR DIFFÉRENCIER LA BIPOLARITÉ DE LA DÉPRESSION  

En analysant des échantillons de sang de patients souffrant de bipolarité ou de dépression, Nicolas Glaichenhaus et Raoul Belzeaux ont découvert plusieurs molécules permettant de différencier les deux maladies. « En analysant des échantillons de sang, nous avons trouvé plusieurs molécules qui sont plus abondantes chez les patients bipolaires que chez ceux souffrant de dépression. En prescrivant une analyse de sang à un patient qui vient consulter parce qu’il est déprimé, le médecin généraliste pourrait ainsi savoir s’il souffre de dépression ou de bipolarité, et lui prescrire le traitement le plus adapté. » 

Les biomarqueurs sont des indicateurs biologiques mesurables. Ils apportent des précisions sur la santé d’une personne ou sur le stade d’une maladie. Par exemple, le taux de glucose dans le sang est un biomarqueur du diabète. Ce dernier est diagnostiqué lorsque la glycémie dépasse 11 mmol/L. Les molécules identifiées par Nicolas Glaichenhaus et Raoul Belzeaux peuvent donc être considérées comme des biomarqueurs de la bipolarité.  

PSYKONOS : VALIDER LA COMBINAISON DE BIOMARQUEURS ET EN TROUVER D’AUTRES  
Si les résultats de Nicolas Glaichenhaus et Raoul Belzeaux sont prometteurs, leur découverte doit encore être validée dans une nouvelle étude pour que le test sanguin qu’ils ont mis au point puisse être commercialisé et remboursé par la Caisse Nationale d’Assurance Maladie. Le chercheur explique : « Pour identifier nos biomarqueurs, nous avons effectué une analyse rétrospective, c’est-à-dire que nous avons analysé le sang de patients qui avaient déjà été diagnostiqués, et pour la majorité d’entre eux traités avec des médicaments. Mais il est possible que ces traitements aient augmenté la concentration de nos biomarqueurs. On ne peut donc pas exclure la possibilité que les molécules que nous avons identifiées ne soient pas des biomarqueurs de la bipolarité, mais des biomarqueurs … du traitement ? Nous devons donc faire une nouvelle étude, prospective cette fois, avec des patients qui viennent consulter leur médecin généraliste pour la première fois et qui n’ont jamais été traités pour dépression. Celle-ci commencera en novembre 2024 et durera 2 ans. »
 

Les biomarqueurs identifiés par Nicolas Glaichenhaus et Raoul Belzeaux font l’objet d’un dépôt de brevet. Sur cette base, la start-up PSYKONOS voit le jour en août 2023. L’objectif de cette entreprise : valoriser les découvertes de Nicolas Glaichenhaus et Raoul Belzeaux et commercialiser des tests permettant de mieux diagnostiquer les maladies mentales en général, et la bipolarité en particulier. Grégory Perraud, le directeur général de PSYKONOS, est confiant : « Avec les travaux de Nicolas Glaichenhaus et de Raoul Belzeaux, nous avons une longueur d’avance sur nos concurrents. Si tout va bien, PSYKONOS pourrait commercialiser son premier test sanguin fin 2027 ».  


Article réalisé dans le cadre du premier numéro d'INTERVALLE, le magazine du service Science et Société, grâce à la participation de :

  • Nicolas Glaichenhaus, professeur des universités à Université Côte d’Azur en immunologie au laboratoire Institut de Pharmacologie Moléculaire et Cellulaire - IMPC - d’Université Côte d’Azur, du CNRS et de l’Inserm.