Renforcer le bois, une histoire de chimie

La recherche ne cesse d’inspirer les entreprises. Mais qui inspire la recherche ? Découvrez où elle prend sa source et jusqu’où l’innovation peut mener à travers le projet FUTURES porté par Nathanaël Guigo, chercheur à Université Côte d’Azur.  

« Ah tu es chercheur ! Et alors, tu as trouvé ce que tu cherchais ? » - Ils l’ont tous déjà entendu, et y ont tous déjà répondu, parfois la lèvre crispée dans un sourire forcé. Mais dans le fond, les questions essentielles seraient : comment nait un projet de recherche ? À quoi la recherche fondamentale sert-elle ? Et comment les scientifiques choisissent-ils leurs projets ? Aux côtés de Nathanaël Guigo, découvrez comment un projet de recherche fondamentale peut trouver de multiples applications innovantes. 

UNE RESSOURCE VÉGÉTALE POUR RENFORCER LES VÉGÉTAUX  
Nathanaël Guigo, débute son récit en commençant par la fin de l’histoire. Il décrit une application issue directement du projet FUTURES (Résines furaniques modulables pour les matériaux durables) : renforcer du bois de mauvaise qualité afin qu’il acquière la rigidité d’un bois tropical. Cela permet d’une part de prolonger la durée de vie du bois, et d’autre part d’obtenir les propriétés d’un bois exotique tout en utilisant des exploitations forestières européennes.  

La formule magique ? Commencer par immerger le bois dans de l’alcool furfurylique, un liquide biologique. Ce thermodurcissant s’imprègne alors dans le tissu végétal et il suffit de chauffer le bois pour que le mélange se solidifie. En effet, porté à une certaine température, il se rigidifie, formant une résine qui renforce le bois tendre et améliore ses propriétés.

« Lorsque qu’elle est immergée dans de l’eau de mer, une planche de bois résineux n’existe plus au bout de six mois. Alors qu’avec la furfurylation, au bout de 15 ans, elle tient encore » raconte Nathanaël Guigo. Et ce n’est pas tout ! L’alcool furfurylique provient de ressources végétales, les molécules qui le composent ne sont autres que des sucres contenus dans certaines plantes. La résine qui en résulte est donc biosourcée et respectueuse de l’environnement.  

UNE BOITE À OUTILS BIOCHIMIQUE  

Transformer l’eau en vin est un travail de longue haleine. Ainsi, même si le procédé final pour modifier un bois de mauvaise qualité en bois résistant peut paraître simple, les recherches effectuées en amont sont conséquentes. Nathanaël Guigo avait déjà travaillé sur l’alcool furfurylique et avait observé une propriété particulière : placées dans certaines conditions, quelques molécules cycliques composant le liquide s’ouvrent. Ce phénomène invisible à l’oeil nu, bien que déjà reporté dans la littérature, attire pourtant l’attention du chercheur. « Générer des ouvertures dans le cycle d’une molécule permet d’en accrocher d’autres et d’obtenir des fonctions inattendues. Je voulais étudier cette réaction pour générer de nouvelles options et toucher à la stabilité de la matière ».  

Afin de mener à bien son étude, il a cependant besoin de financements. Le chercheur se jette donc à l’eau et propose à l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) ce projet original. Il souhaite approfondir les connaissances sur les ouvertures de cycles de l’alcool furfurylique et en explorer les potentielles applications. Nathanaël Guigo espère ainsi « ouvrir une boite à outil » et proposer un nouveau champ de possibilités. L’idée plait, et soutenu par l’ANR, le projet FUTURES peut ainsi prendre vie.  

UN TRAVAIL « ASSEZ LABORIEUX »  

L’alcool furfurylique est constitué de multiples molécules dites « aromatiques », car nous l’avons vu plus haut, elles sont cycliques. Pour commencer, les scientifiques ont cherché à comprendre ce qui influe sur leur ouverture pour ensuite les quantifier. Un travail « assez laborieux », explique Nathanaël, en partie réalisé par le doctorant Pierre Delliere. Mais cela leur permet de passer à l’étape suivante, à savoir la fixation à d’autres molécules.  

« C’est surtout Pierre qui a travaillé sur l’intérêt de ces ouvertures pour y accrocher d’autres molécules et observer ce que cela engendre ». Cette étape du projet FUTURES est essentielle car les modifications à l’échelle macroscopique ont des répercussions sur les propriétés d’un matériau. Par exemple, un polymère composé de molécules cycliques fermées sera rigide, tandis qu’en y ajoutant d’autres molécules cela peut le rendre flexible. De cassant, le matériau devient souple. Nathanaël Guigo précise « Nous ne sommes pas une industrie, nous ne cherchons pas à formuler et à proposer un objet fini. Ce qui nous intéresse c’est toute la physicochimie qui est derrière, ce que j’appelle les relations entre la structure et les propriétés. »  

ET LE BOIS DANS TOUT ÇA ?  

À l’issue de cette étude, Pierre a mis en lumière toutes sortes de réactions. Derrière l’une d’elle se cache la recette pour transformer du bois résineux en bois rigide. L’équipe découvre qu’ouvrir plus les molécules de l’alcool furfurylique lui permet de mieux adhérer au bois. Sous l’effet de la chaleur, ce produit thermodurcissable créé ensuite un réseau résineux qui confère une rigidité nouvelle au matériau.  

Grâce au soutien financier de l’ANR, l’équipe a pu travailler les mains libres, sans influence. Mais une fois l’étude fondamentale effectuée, ils réalisent l’intérêt de leurs recherches pour l’industrie du bois. « Nous avons alors travaillé avec une entreprise, pour comprendre pourquoi parfois l’alcool furfurilyque s’accrochait mieux et quels étaient les avantages pour certains types du bois. L’idée était de leur dire : regardez ce que nous pouvons faire et ce que ça apporte comme possibilité. »  

Aujourd’hui, l’entreprise avec laquelle ils ont travaillé propose du bois transformé issu d’un processus breveté et respectueux de l’environnement. 



Article réalisé dans le cadre du premier numéro d'INTERVALLE, le magazine du service Science et Société, grâce à la participation de :

  • Nathanaël Guigo, maître de conférences au laboratoire Institut de Chimie de Nice - ICN -d’Université Côte d'Azur et du CNRS