The Conversation : Jeux vidéo indépendants, comment les petits studios bouleversent les géants de l’industrie

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Publié le 25 août 2025 Mis à jour le 25 août 2025
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le 25 août 2025

Du Japon à la France, le jeu vidéo indépendant connaît une expansion spectaculaire. Innovations, ruptures de style et succès commerciaux : il redéfinit les règles du secteur.

L’essor du jeu vidéo indépendant répond à un appétit croissant pour les concepts créatifs émancipés des grandes conventions du médium. Économiquement, ces innovations définissent un nouveau modèle de consommation qui déjoue les prévisions du marché et qui influence l’ensemble de la production. C’est le cas du succès français « Clair Obscur : Expédition 33 » sorti en 2025.


Depuis une quinzaine d’années, les propositions indépendantes envahissent le secteur du jeu vidéo. Le mot d’ordre de cette mouvance ? La rupture des codes établis.

Les écoles asiatique et occidentale du jeu vidéo incarnent deux conceptions spécifiques liées à leurs cultures respectives. Elles se retrouvent néanmoins dans la recherche d’originalité qui prévaut au cœur des studios indépendants. Intellectuellement, la position des studios indépendants nécessite de redoubler d’efforts. Ces derniers œuvrent en petit comité, sans la bénédiction financière dont jouissent les grands éditeurs. L’effervescence d’un groupe restreint de concepteurs passionnés donne souvent une tonalité différente à la ferveur créatrice, à l’origine d’un savoir-faire unique.

Les limites budgétaires ne génèrent pas forcément de chape de plomb créative. Au contraire, ces restrictions obligent les développeurs à se surpasser dans l’objectif de trouver des idées exceptionnelles pour marquer les esprits dans la durée.

« Pourquoi les jeux indé ont du succès ? »

Certains grands succès du jeu vidéo indépendant ont laissé une telle empreinte qu’on retrouve aujourd’hui leur influence dans des productions de blockbusters.

L’expansion du jeu vidéo indépendant en Occident

Sorti en 2013, Outlast, des studios canadiens indépendants Red Barrels, en est un exemple phare. La particularité de ce jeu de survie/horreur (survival-horror) réside dans l’absence d’armement pour se défaire des ennemis, la seule possibilité de progression restant la fuite ou les cachettes parsemées dans le décor. Outlast est rapidement devenu une source d’inspiration du genre survival-horror, y compris pour les productions à grand budget.

C’est le cas avec le succès d’Alien: Isolation, sorti en 2014, qui réutilise largement le système de « cache-cache » avec les créatures ébauchées par Outlast, tout en cherchant à augmenter l’effet de réalisme par le caractère aléatoire continu des apparitions de la bête noire.

Certaines productions indépendantes présentent également des résurgences de la formule Outlast. Le jeu russe Hello Neighbor devient, dès sa sortie en 2017, un phénomène d’immersion mélangeant le suspense, l’horreur et la réflexion, toujours autour du même principe du jeu du chat et de la souris instauré par Outlast. La singularité du titre réside néanmoins dans son univers et dans sa patte graphique qui répondent à une esthétique bien plus cartoon et adaptée à un large public.

L’approche complémentaire du jeu vidéo indépendant japonais

Au Japon, le titre indépendant Deadly Premonition, sorti en 2010, a quant à lui laissé une marque sur les jeux narrativisés (transformés en récits, ndlr) grâce à son approche assez révolutionnaire du genre horrifique, mêlant investigation policière, exploration en monde libre (open world) et horreur psychologique et cosmique.

Les résurgences de cette formule ressortent dans des œuvres à grand budget comme la série The Evil Within, débutée en 2014. Un titre qui emploie également des angles proches du thriller, avec un aspect très paranoïaque dans le cheminement du scénario et des éléments horrifiques.

Des créations aux ambitions artistiques marquées

Le genre de la plateforme (platformer) s’illustre quant à lui avec des titres d’une grande créativité comme Cuphead ou Little Nightmares, tous deux sortis en 2017. Ils abordent respectivement les univers des vieux cartoons des années 1930, avec une jouabilité (ergonomie de jeu, ndlr) exigeante et punitive, ou ceux plus cauchemardesques des films d’animation en stop motion, comme les travaux d’Henry Selick. Des genres revisités sous l’angle de l’exploration-réflexion dans une tonalité encore plus inquiétante.

Le rayonnement du jeu de rôle indépendant

Mais s’il est bien une catégorie de jeu à avoir contribué au succès des studios indépendants au cours de ces dernières années, c’est incontestablement le jeu de rôle (Role Playing Game, RPG).

La grande variété de points de vue qu’offre l’expérience rôliste permet aux concepteurs d’arpenter des systèmes de jouabilité hybrides qui évoluent constamment et qui offrent au public des immersions aussi singulières qu’enivrantes. Le RPG est un genre qui a beaucoup évolué au fil du temps et qui a laissé dans son sillage des novations éphémères, représentatives d’époques spécifiques, qui réapparaissent grâce à l’ingéniosité nostalgique des créateurs indépendants. Certains des jeux les plus remarqués de ces dernières années réutilisent des procédés qui ont fait la gloire de périodes passées.

Le jeu indépendant Hadès, sorti en décembre 2019, récompensé par plusieurs prix autant vidéoludiques que littéraires, se veut une lettre d’amour assumée à une panoplie de genres et d’esthétiques ayant construit la réputation désormais internationale du RPG. Graphiquement, le titre opte pour une plastique anachronique entièrement conçue dans une 2D proche de la bande dessinée. Mais c’est en réhabilitant le genre roguelike que cette œuvre souffle un vent de jeunesse sur un modèle qui n’était plus tellement d’actualité. Ce sous-genre de RPG très populaire dans les années 1980 et 1990 présente la caractéristique de générer aléatoirement chaque palier des donjons que le joueur visite.

Par ailleurs, le système de combat puise sa mécanique dans un autre genre d’une époque antérieure, le hack’n’slash qui consiste à se défaire de hordes d’ennemis au moyen d’attaques, d’esquives et de défenses simples d’emploi mais riches dans leurs potentialités. La toile narrative, quant à elle, contraste avec les poncifs du genre, en situant l’action dans l’enfer de la mythologie grecque.

Toutes ces occurrences témoignent d’une diversification autant technique qu’artistique. Cette variété envahit d’un même mouvement la production du RPG indépendant et, par contrecoup, l’ensemble de l’artisanat vidéoludique contemporain. La transversalité des différents procédés mentionnés plus haut définit ainsi une empreinte typiquement occidentale dans la conception de ces RPG.

Au Japon, la propagation du RPG indépendant dépend d’un autre phénomène. Les jeux mobiles, dits gacha, souvent issus de studios indépendants, représentent une manne économique colossale en faisant du RPG un plaisir instantané et contenu dans des boucles rapides. Leur système de participation appelé « free-to-play » incite progressivement le joueur à dépenser de l’argent pour évoluer dans le jeu.

Parallèlement, sur consoles de salon, s’illustrent des titres plus expérimentaux et dans la tradition narrative mature des récits nippons. Par exemple le jeu D4, paru en 2014, aborde autant de sujets que le deuil, la rédemption, la psychanalyse et la démence sur fond d’enquête policière aussi rocambolesque que captivante. Des problématiques qui n’auraient peut-être pas pu voir le jour dans une production plus globale.

Le couronnement du RPG indépendant en France

Le RPG indépendant manifeste également sa maestria en France, notamment avec, en 2025, le succès exceptionnel de l’inattendu Clair Obscur : Expédition 33.

Clair Obscur : Expédition 33

Loin des 4 500 employés que constituent, par exemple, le studio Ubisoft Montréal, la petite équipe de moins de 30 personnes de Sandfall Interactive a cherché à remettre au goût du jour le système du « tour par tour », très peu représenté en Occident. Le tout en proposant un contexte historique français inédit dans le jeu vidéo et saupoudré d’éléments fantastiques : la Belle Époque. La reproduction graphique des environnements de cette période, bardée de quelques influences dystopiques, profite d’une profondeur et d’une finition qui n’ont rien à envier aux productions des cadors des grands éditeurs.

Cette récente prouesse prouve que le jeu vidéo indépendant tend à incarner, aujourd’hui plus que jamais, la matérialisation de changements très importants. Des transformations qui définissent à la fois une primauté de la liberté de création et une contre-proposition artistique et commerciale de taille face à certains mastodontes de l’industrie vidéoludique.The Conversation

Arnault Djaoui, Doctorant en Science de l'Information et Communication au laboratoire LIRCES (Université Côte d’Azur)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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