Une équipe du C3M met au point un test pour établir la gravité de la maladie chez les patients atteints de covid-19

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Publié le 9 juillet 2020 Mis à jour le 16 septembre 2022
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le 9 juin 2020

L’équipe Université Côte d’Azur et Inserm de Laurent Boyer a cartographié l’état d’activation des cellules immunitaires dans le sang des patients covid-19 hospitalisés au CHU L’Archet 1. Ce test révèle trois profils de réaction inflammatoire, associés à différents états de gravité de la maladie.


Mi-mars, les laboratoires du Centre Méditerranéen de Médecine Moléculaire (C3M) ont basculé dans la pénombre et se sont vidés de leurs personnels. Seuls sont restés une poignée de chercheurs, appelés à recentrer leur activité sur l’épidémie de COVID-19. Ils ne travaillaient jusqu’alors pas spécifiquement sur des coronavirus mais sur les processus inflammatoires similaires à ceux observés dans les formes graves de COVID-19. Grâce à un soutien de 15 000 € pris sur le budget de l’Idex UCA JEDI, l’équipe de Laurent Boyer, chercheur Inserm à Université Côte d’Azur a ainsi repositionné une recherche entamée il y a deux ans. « Il s’agit du sujet de la thèse de Sciences de Johan Courjon, par ailleurs médecin infectiologue au CHU de Nice. Il consiste à trouver dans le sang des patients des marqueurs, permettant de décrire différents niveaux d’intensité dans la réaction inflammatoire générée par le corps en réponse aux infections bactériennes à Escherichia coli et au staphylocoque doré », explique d’emblée le chef d’équipe. « Quand on a vu que l’évolution de la maladie COVID-19 était dépendante de ce qu’on appelle un « orage de cytokines », autrement dit un orage inflammatoire, on s’est dit que probablement, il y avait des similitudes avec le choc septique qu’on étudiait dans le contexte des infections bactériennes », raconte Laurent Boyer. Les cytokines sont en effet des substances sécrétées par le système immunitaire. Lorsqu’elles sont libérées en masse, cela traduit donc un emballement de la réaction de défense de l’organisme, y compris de sa composante inflammatoire, avec le risque de voir ce mécanisme se retourner contre le malade. 

Au moyen d’une analyse en cytométrie en flux (FACS), les scientifiques ont donc entrepris de cartographier les cellules du sang des patients hospitalisés à quelques pas du C3M, à l’hôpital Archet 1 du CHU de Nice. « Les services des maladies infectieuses et de réanimation médicale se situent de l’autre côté de la passerelle. Les échantillons nous arrivent à pieds et en temps de crise, ça change tout. C’est la vocation d’un centre de recherche translationnelle comme le C3M. C’est pour ça, je crois, qu’on a réussi à avancer aussi rapidement. Beaucoup de projets très bien sur le papier n’auront pas eu cette chance », insiste Laurent Boyer. « Avec l’aide de deux chercheurs du C3M spécialistes de cytométrie, Arnaud Jacquel et Stoyan Ivanov, Oceane Dufies mon étudiante en thèse a regardé quelles étaient les proportions des différents types de cellules présentes dans le sang, puis on a mesuré au moyen d’une sonde fluorescente l’état d’activation des cellules spécifiques du système immunitaire inné (1). Johan a mis en correspondance ces marqueurs avec les différentes formes de gravité de la maladie observées chez les patients dont on avait prélevé le sang », explique le chef d’équipe Inserm. Il en ressort trois profils de réaction immunitaire : une réponse primaire, liée aux formes asymptomatiques, une réponse inflammatoire modifiée, plus forte chez les formes intermédiaires et chez les formes sévères une paralysie de certaines cellules immunitaires. « On pense que cette anergie survient probablement des suites d’une suractivation de certaines populations de cellules immunitaires », révèle Laurent Boyer. 

Mais les chercheurs n’ont pas pu réaliser de suivi longitudinal sur la vingtaine de patients inclus dans l’étude, celle-ci permettant seule de dire avec certitude si ces trois profils correspondent à différentes phases de la maladie ou s’ils sont caractéristiques des personnes prélevées. Auquel cas les sujets concernés garderaient le même profil tout au long de la maladie. « Or un tel protocole est difficile à envisager, car d’une part les patients arrivent à l’hôpital en dernier recours, dans un état grave et d’autre part il n’y a quasiment plus eu d’entrée de patient positif au SARS-CoV-2 depuis début mai. On doit donc terminer notre projet de recherche », précise le chercheur. L’équipe envisage de publier ses travaux rapidement, afin de laisser d’autres chercheurs prendre le relais, aux endroits où l’épidémie sévit le plus. Au C3M, d’autres aspects du travail se poursuivront néanmoins. Un projet consistera à étudier, en partenariat avec Valerie Giordanengo, cheffe de service du laboratoire de virologie du CHU de Nice, l’expression des protéines du virus, afin de voir comment celles-ci modulent l’immunité. Un autre est mené conjointement avec l’équipe de Patrick Auberger, le directeur du C3M et touche aux perspectives thérapeutiques mises en oeuvre dans le COVID-19. 

« On peut avoir une approche anti-virale et une approche d’immunomodulation. Cette dernière s’avère séduisante puisque comme nous l’avons expliqué, l’intensité de la réponse immunitaire est un phénomène clé dans cette maladie. Si nous parvenions à bloquer l’emballement, nous pourrions espérer bloquer l’évolution vers les formes les plus graves », explique Laurent Boyer. « Si on bloque certaines cytokines spécifiquement, on peut espérer avoir un effet modéré sur la réponse anti-virale, protectrice, et un effet important sur le choc cytokinique », suggère à son tour Johan Courjon.  En collaboration avec l’équipe de Patrick Auberger, ils étudient des candidats médicaments pour bloquer le mécanisme de l’inflammation à différents niveaux. Le test sanguin mis au point permet de tester l’effet des médicaments directement sur le sang et de mesurer l’impact de leur administration sur le profil immunitaire des patients. Car « on est toujours inquiets des effets secondaires qui peuvent survenir en contre-partie d’un traitement anti-inflammatoire. En abaissant la réponse immunitaire au mauvais moment ou chez la mauvaise personne on peut favoriser des infections opportunistes, en particulier chez des patients qui doivent rester plusieurs semaines en réanimation. Il faut agir sur le bon profil de cytokine et dans la bonne fenêtre thérapeutique », explique Johan Courjon. La phase critique de la maladie, là où les choses sont susceptibles de se dégrader, se situerait entre le 6e et le 8e jour. Enfin, les études menées au C3M dans les circonstances inédites du confinement, où la recherche a dû emprunter des pistes originales en urgence, ont ouvert des perspectives potentiellement larges aux travaux qui étaient jusqu’alors ciblés sur les infections bactériennes.  « L’avantage de ce système de test c’est qu’il n’est pas spécifique au COVID-19. Il pourra être réutilisé pour d’autres infections. En effet, il permet de mesurer le statut immunitaire du patient en réponse à une attaque par des microorganismes pathogènes au sens large », conclut Laurent Boyer.

Article rédigé par Laurie Chiara

  1. le système immunitaire innée est mobilisé lorsque l’organisme est confronté pour la première fois à un pathogène. Il s’agit d’une réponse « primaire », non spécifique d’une maladie. Elle diffère donc de l’immunité acquise, obtenue après une vaccination ou en cas d’exposition renouvelée au pathogène. 
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