The Conversation : Échec de la fusion Kraft-Heinz, les dix secrets des fusions qui réussissent

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Publié le 22 octobre 2025 Mis à jour le 22 octobre 2025
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le 15 octobre 2025

Dix ans après une fusion tonitruante, le géant Kraft-Heinz se casse en deux. Que révèle ce fiasco sur les conditions d’une fusion réussie dans un secteur agroalimentaire sous pression ?

Début septembre 2025, dix ans après la création du cinquième groupe mondial de l’industrie agroalimentaire, le géant états-unien Kraft-Heinz, qui distribue notamment le célèbre ketchup Heinz ou le fromage à tartiner Philadelphia, annonce la scission de ses activités. Quelles sont les raisons de l’échec de cette mégafusion ? Et quels sont les secrets des fusions réussies ?


Dans un communiqué de presse publié le 2 septembre 2025, The Kraft Heinz Company (KHC) annonce son intention de se scinder en deux entités distinctes, pour mieux cibler ses priorités stratégiques, accélérer la croissance rentable et créer de la valeur pour ses actionnaires.

« Les marques de Kraft-Heinz sont emblématiques et aimées, mais la complexité de notre structure actuelle complique l’allocation efficace des capitaux, la priorisation des initiatives et le développement de nos activités les plus prometteuses », déclare Miguel Patricio, le PDG de Kraft-Heinz.

« En nous séparant en deux sociétés, nous pouvons allouer l’attention et les ressources nécessaires pour libérer le potentiel de chaque marque et ainsi améliorer la performance et créer de la valeur à long terme pour les actionnaires. »

C’est en 2015 que les deux groupes américains Kraft Foods et Heinz fusionnent pour former un nouveau géant mondial de l’industrie agroalimentaire, sous la houlette du fonds d’investissement brésilien 3G et de l’homme d’affaires Warren Buffet. Le montant de l’opération est estimé à 45 milliards de dollars, l’un des plus gros « deals » réalisés dans la période. L’objectif était de réaliser des économies et des synergies annuelles de 1,5 milliard de dollars.

Kraft-Heinz a perdu 62 % de sa valeur depuis sa création

Dix ans après, la fusion se révèle être un échec et les objectifs annoncés n’ont pas été réalisés. Les divergences sont nombreuses au sein du groupe qui a perdu 62 % de sa valeur en Bourse depuis sa création. Les activités du groupe vont être réparties entre deux entreprises : les deux nouvelles entités seront Global Taste Elevation Co., qui regroupera des marques emblématiques, telles que Heinz, Philadelphia et Kraft Mac & Cheese, et North American Grocery Co, qui réunira notamment Oscar Mayer, Kraft Singles et Lunchables. En 2024, les ventes de sauces et de pâtes à tartiner de Kraft-Heinz ont atteint environ 15,4 milliards de dollars (soit 13,15 milliards d’euros), tandis que celles des produits alimentaires transformés et des plats préparés se sont élevées à 10,4 milliards de dollars.

Les raisons de l’échec de cette mégafusion sont multiples. Il convient d’abord de rappeler que le mariage scellé en 2015 n’était pas égalitaire : 51 % du capital du nouveau groupe étaient détenus par les actionnaires de Heinz, dont le PDG était nommé PDG de Kraft-Heinz, et 49 % du capital étaient détenus par Kraft Foods.

Cette gouvernance déséquilibrée en faveur de Heinz a entraîné de nombreuses difficultés dans la réalisation du processus d’intégration et des objectifs fixés. A ces difficultés internes se rajoute un contexte défavorable qui est marqué par la hausse des matières premières dans l’industrie agroalimentaire et des changements profonds dans les comportements des consommateurs, en particulier américains, qui délaissent de plus en plus les produits ultratransformés pour de la nourriture plus saine.

Dix secrets pour réussir une fusion

Nos travaux de recherche, fondés sur des études qualitatives et quantitatives, permettent d’identifier 10 secrets relatifs à la préparation, au déploiement et à la performance des fusions qui réussissent :

Préparation de la fusion

Le déroulement d’une fusion est d’abord lié à la gouvernance qui doit être équilibrée sous la forme d’un « merger of equals ». L’équilibre au niveau de la gouvernance concerne à la fois la structure actionnariale et la composition des équipes dirigeantes (secret n° 1). La réussite dépend aussi de la complémentarité des activités et des marchés des entreprises qui décident de fusionner (secret n° 2).

Le processus d’intégration joue un rôle déterminant dans la réalisation d’une fusion. Le temps constitue un facteur clé et il est nécessaire d’établir un calendrier avec les différentes étapes du processus d’intégration, qui s’étale généralement sur une période allant de six à 24 mois (secret n° 3). Les dirigeants des entreprises associées doivent communiquer la vision stratégique et les différentes étapes de l’opération auprès de leurs salariés, de leurs actionnaires, de leurs clients et fournisseurs et du grand public (secret n° 4).

Déploiement de la fusion

Les différentes étapes du processus d’intégration doivent être gérées par des comités de pilotage et des groupes de travail mixtes, qui représentent de manière équilibrée les équipes des deux entreprises qui fusionnent (secret n° 5). Les équipes mixtes constituées doivent gérer l’intégration des pratiques et des processus en identifiant les best practices dans les deux entreprises (secret n° 6).

L’intégration des pratiques et des processus est uniquement possible si les équipes concernées acceptent et partagent les best practices identifiées dans chaque entreprise (secret n° 7). Elle est facilitée par la création d’une culture organisationnelle commune qui s’appuie sur les valeurs des entreprises associées (secret n° 8). Ces valeurs peuvent être liées aux différences culturelles entre les pays.

Performance de la fusion

Le processus d’intégration doit faciliter la réalisation d’économies et de synergies sur le long terme afin de permettre la croissance rentable, garant de la pérennité de la fusion (secret n° 9). Enfin, la réussite d’une fusion dépend d’une évolution favorable du marché et de l’environnement (secret n° 10). Dans cette perspective, il convient de rappeler que le contexte actuel est marqué par une forte instabilité politique et économique, qui est accentuée par la multiplication de crises et de conflits à l’échelle mondiale.

Les dix secrets de fusions qui réussissent que nous avons identifiés dans nos travaux de recherche concernent aussi bien des grands groupes que des PME, même si les petites entreprises sont moins actives dans ces opérations de croissance externe.

Les causes de l’échec de la fusion Kraft-Heinz

Notre analyse permet de mieux comprendre les raisons de l’échec de la mégafusion entre les groupes américains Heinz et Kraft Foods. Elle montre que l’échec de cette fusion est principalement lié à une gouvernance déséquilibrée, aux difficultés rencontrées dans le processus d’intégration, à la non-réalisation des économies et des synergies escomptées et à l’évolution défavorable du marché et de l’environnement.

Concrètement, le processus d’intégration a conduit à la suppression de 2 500 emplois aux États-Unis et au Canada, et la plupart des fonctions stratégiques ont été confiées aux anciens dirigeants de Heinz (10 postes sur 12). Ce contexte anxiogène a détérioré la confiance et la motivation des équipes et entraîné de nombreux départs de salariés. De plus, le processus d’intégration n’a pas abouti à une entité unifiée, l’organisation était encore fortement ancrée dans les structures opérationnelles d'avant la fusion.

La fusion s’est construite autour d’une stratégie de réduction des coûts, avec des coupes budgétaires significatives qui ont notamment impacté l’innovation et le marketing. Cette stratégie a eu pour conséquence de détériorer le climat social et de freiner l’adaptation des produits à l’évolution du marché. Pour autant, les économies de coût demeuraient insuffisantes au regard des objectifs fixés et dans un contexte d’augmentation du prix des matières premières.

Malgré leur grande popularité, les fusions d’entreprises restent des opérations complexes aux performances contrastées, comme en témoigne la scission du groupe Kraft-Heinz !The Conversation

Ludivine Chalencon, Maître de conférences, finance et comptabilité, iaelyon School of Management – Université Jean Moulin Lyon 3 et Ulrike Mayrhofer, Professeur des Universités à l'IAE Nice et Chercheuse et Directrice du Laboratoire GRM (Université Côte d’Azur)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
 

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